Traversée matinale

Parmi les îles séculaires, sur les canaux indistincts,
Des lumières irréelles voguaient de bon matin.
La lagune accueillante laissait faire ces drôles de voyageurs
Et, sans doute, murmurait-elle au dieu des eaux vengeur :
"Mon ami, mon maître, écoute ma requête.
Permets à ces lueurs d'aller à la conquête
D'un avenir, d'un destin qui nous est inconnu,
Car agir sur leur existence éphémère serait malvenu.
Combien d'êtres de chair aux intentions belliqueuses
N'as-tu retenu au sein de ta prison aqueuse ?
Combien d'amoureux de la vie et d'êtres insignifiants
As-tu englouti avec tes pouvoirs terrifiants ?
Je t'en supplie, ô divinité éternelle et omnisciente,
Consens au parcours tranquille de ces luisances flamboyantes.
Elles sauront t'être redevables et chanteront tes louanges
Au-delà de ton territoire, au sein de royaumes étranges.
Ô seigneur immortel, ô invincible suzerain,
Prête attention au conseil de celle qui côtoie les marins
Et offre à ces nitescences le soin de me découvrir,
Car je suis persuadée qu'elles auront de beaux vers à écrire."
Le dieu des eaux devait être attentif aux murmures de la lagune
Tant les lumières et leur vaisseau ne connurent d'infortune.
Un soleil ravi s'amusa à les accompagner
Vers des rives invisibles pour la Venise éloignée.